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L’éducation sexuelle en ergothérapie

25 mars 2025

L’éducation sexuelle en ergothérapie

Entrevue avec Carolane Caron, ergothérapeute

1. Qu’est-ce qui vous a motivée à vouloir effectuer une recherche sur l’ergothérapie et la trisomie ? 

Dans le cadre de mon parcours d’études supérieures à l’université de Sherbrooke, j’ai eu l’occasion de faire des stages et d’avoir des expériences de travail dans des milieux variés (Résidence pour personne âgée, CHSLD, CLSC, clinique privée, hôpital en psychiatrie, URFI, centre de réadaptation, etc.). Une lacune que je notais dans tous les milieux était l’absence, je dirais même l’évitement volontaire d’aborder les soins portant sur la sexualité/santé sexuelle des patients. Ensuite, un cours à option a été offert sur l’ergothérapie et la sexualité, j’ai donc choisi d’y participer afin d’en apprendre plus et de démystifier l’évitement des professionnels d’aborder ce besoin essentiel de la nature humaine. La trisomie a été un sujet de ce cours tout comme une large variété de conditions physiques, cognitives et affectives.

2. Vous avez mentionné vouloir « ouvrir la porte sur la sexualité » en soins d’ergothérapie. Que voulez-vous dire par cela? 

« Ouvrir la porte à la sexualité » consiste à offrir la possibilité aux patients d’aborder la sexualité dans le cadre de leurs suivis si c’est un besoin pour eux. Cela implique d’être dans l’ouverture, le respect et la bienveillance. Questionner les patients sur leur sexualité est bien souvent perçu par les thérapeutes comme de « lâcher une bombe » sans savoir ce qui va en découler. Cela est le résultat de multiples facteurs :

  • Sujet qui demeure tabou en société
  • Professionnels se sentent peu outiller dans ce sujet
  • Peu de ressources accessibles spécifiques à la sexualité
  • Crainte de la réaction chez le patient
  • Conditions environnementales d’évaluation et de traitements parfois peu propices (local ouvert, présence d’autres patients et intervenants, interventions limitées par les mandats spécifiques), etc.

Les ergothérapeutes traitent des personnes avec des difficultés sur le plan fonctionnel, ainsi on aborde tous les types d’occupations (alimentation, habillage, hygiène, soins personnels, entretien ménager, entretien extérieur, emplette, etc.). Cela doit alors aussi inclure la sexualité afin d’évaluer si des difficultés sont présentes et, si oui, de quelles natures. Par la suite, les ergothérapeutes élaborent un plan d’intervention qui peut aussi inclure des références à d’autres professionnels (ex. sexologue, médecin, physiothérapeute périnéal, travailleurs sociaux, etc.). 

Ainsi, si les ergothérapeutes (et tout autre professionnel de la santé) pouvaient « ouvrir la porte » à la sexualité dans leurs évaluations et suivis, cela permettrait potentiellement de diminuer le tabou sociétal, mais surtout à ce que davantage de personnes puissent bénéficier de services pour rendre leur vie sexuelle satisfaisante.

3. Dans vos cours en ergothérapie comment étaient abordées les tâches de proximité (donner bain, accompagnement aux toilettes, etc.) 

Lors de mon parcours scolaire à l’Université de Sherbrooke (2018 à 2022) nous avons abordé et expérimenté des tâches de proximité. Bien que nous ayons appris l’aspect clinique (évaluation, interventions possibles, enjeux de sécurité, etc.), le savoir-être a été particulièrement abordé. En effet, lors des soins d’hygiène, les professionnels entrent dans l’intimité des gens, il est alors primordial d’avoir une approche sensible aux traumatismes et d’être respectueux. Cela implique alors entre autres de :

  • Expliquer précisément ce que l’on souhaite faire;
  • S’assurer d’avoir un but commun entre le patient et le thérapeute;
  • Demander le consentement à faire une mise en situation;
  • Explorer les craintes et besoins du patient pour que la mise en situation se passe le mieux possible;

Toutes ces étapes, réalisées dans le respect du rythme du patient, permettent à celui-ci de se sentir considéré, respecté et aussi d’avoir un consentement libre et éclairé à réaliser la mise en situation en question.

Maintenant, si on se projette en situation réelle et qu’un patient doit recevoir un soin dans un cadre de proximité, la personne vivant avec de la trisomie ou ses proches aidants ne doivent pas hésiter à demander au professionnel que ces étapes soient précisées afin de se sentir en santé et en sécurité physiques, cognitive et affective.

4. Depuis vos recherches de 2018 à 2022, avez-vous vus un changement dans la sensibilisation à prodiguer ces soins aux personnes vivant avec la trisomie, qui prennent en considération que c’est un privilège d’entrer dans l’intimité de l’autre? 

Le « privilège d’accès à l’intimité de l’autre » n’était pas une formulation abordée dans mes cours, du moins pas de cette manière. C’était davantage abordé comme de la « sensibilité thérapeutique » ou de viser une relation thérapeutique basée sur la collaboration et le respect. Peu d’évolution est présente dans les données probantes sur l’intimité. En effet, les problématiques des thérapeutes sont similaires soit :

« -Une perception de la sexualité des personnes aux prises avec les stéréotypes de genre ;

-Difficulté à penser positivement aux aspects de la vie des gens en couple ou en famille ;

-Le sentiment qu’ils doivent protéger les personnes dont ils ont la charge d’une grande violence » (traduction libre provenant de l’article (Guenoun et al. 2022).

De même que les besoins de la clientèle présentant une trisomie, soit le besoin d’accès à l’information (informations d’ordre médical, identifier les difficultés, trouver des ressources/services dans leur région [Martin et al. 2023]). »

5. Est-ce que vous trouvez que la cause qui vous a motivé à faire des recherches sur l’ergothérapie et la trisomie s’est avérée répondue avec le temps et qu’aimeriez-vous voir de différent aujourd’hui?

C’est un travail d’envergure de modifier la vision sociétale sur la sexualité et la trisomie. Je vois de plus en plus de formations et de ressources pour les professionnels et les personnes vivant avec la trisomie et autre déficience intellectuelle pour s’outiller par rapport à la sexualité. En voici quelques-unes qui sont vulgarisée, mais détaillée :

« La sexualité, comment en parler? Du Regroupement pour la Trisomie 21 ». Guide pratique d’éducation sexuelle à l’attention des parents d’adolescents et de jeunes adultes ayant une trisomie 21

« L’esprit et le corps – Des réponses à tes questions » du Regroupement canadien du syndrome de down. (Aussi disponible en version anglophone). Ressource pertinente pour aborder la sexualité avec les adolescents vivant avec la trisomie (PDF et page web).

Plusieurs ressources et outils sont consignés sur le site de la Société Québécoise de la Déficience intellectuelle notamment dans l’onglet « sexualité et déficience intellectuelle).

Afin de répondre au principal besoin noté dans les données probantes des personnes vivants avec la trisomie et leurs proches, soit celui d’avoir accès à l’information, je souhaite que les professionnels de la santé « ouvrent la porte » à la sexualité avec leur clientèle, optimiser l’accessibilité ainsi que la visibilité des ressources existantes et celles à venir par l’entremise de conférences, de formation et d’implantation dans les milieux spécifiques et que les personnes vivant avec la trisomie et leurs proches discutent préalablement de l’approche souhaitée lors des soins d’intimité (ex. explication, consentement, besoins, etc.).