La schizophrénie
2 avril 2024
Marie-Christine Dufour, sexologue au Programme de soutien et d’intervention clinique (PSIC) installation (IUSMM) institut universitaire en santé mentale de Montréal, travaille avec la clientèle en santé mentale adulte qui inclut l’ensemble des diagnostics de troubles psychotiques, troubles de l’humeur et les troubles de la personnalité.
Elle nous a accordé une entrevue afin de discuter des impacts de la schizophrénie sur la sexualité des personnes vivant avec ce diagnostic.
La prise de médication
« Tout d’abord, la schizophrénie est un spectre et se manifeste différemment pour chaque personne. Les symptômes et les effets de la médication peuvent donc varier. Lorsque quelqu’un prend de la médication, cela peut affecter sa sexualité et mener à des difficultés érectiles, une perte de désir sexuel, une perte de lubrification vaginale et même jusqu’à rencontrer des difficultés à atteindre l’orgasme.
Ceci mène certain.e.s à cesser la prise de médication ou à consommer des drogues pour mieux performer. Lorsqu’une personne arrête sa médication, cela mène à »une explosion de symptômes » et la consommation augmente le risque de psychoses. Donc, en bout de ligne, cela n’aide pas réellement. »
L’intervenante suggère plusieurs pistes où continuer la médication et avoir une vie sexuelle épanouie est chose possible !
« Si votre médication entraîne des dysfonctions érectiles et que vous souhaitez avoir des érections, il est possible d’en parler à votre psychiatre ou à votre médecin et de recevoir une prescription pour du Viagra. Il est aussi possible de faire ajuster votre médication ou de trouver d’autres solutions qui vous conviennent et qui auront un impact positif sur votre sexualité. »
« Un autre point à considérer, c’est que la sexualité n’est pas seulement la pénétration », ajoute la bachelière en sexologie « Il y a le sexe oral, les objets sexuels et plus encore ! Prendre le temps de découvrir ses zones érogènes, autres que l’organe sexuel, peut nous faire découvrir de multiples façons d’avoir des orgasmes sans pénétration. Il est aussi possible d’explorer le sexe anal, mais il faut savoir que ce n’est pas pour tous.tes et qu’il est important de savoir comment faire avant de procéder, afin de réduire le risque de blessures. »
Les voix qui persistent malgré tout
« Parfois, les voix se manifestent lors de relations sexuelles et peuvent interrompre ce qui aurait pu, autrement, être une expérience plaisante. Cela affecte grandement l’estime de soi. »
L’intervenante suggère de développer des phrases qui aideront à revenir dans le moment présent. Une phrase comme »je suis en contrôle de moi-même » peut aider à revenir dans la réalité et à pouvoir continuer à avoir du plaisir avec l’autre.
Elle s’adresse d’ailleurs directement aux personnes vivant avec la schizophrénie en disant « Si la personne avec qui vous avez une relation sexuelle sait que vous vivez avec la schizophrénie, il est possible de nommer ce qui se passe lorsque vous éprouvez certaines difficultés, et ce, même pendant le moment, afin qu’il n’y ait pas espace à l’interprétation. La communication joue un rôle principal dans toutes les relations amoureuses. Lorsque vous serez en couple ou si vous l’êtes déjà, il sera important de dire comment vous vous sentez à votre partenaire. »
Certaines personnes pourront »gérer leurs voix » et d’autres ne le pourront pas. C’est pourquoi Marie-Christine conseille l’idée de »parler à ses voix » et de leur laisser savoir qu’elles arrivent au mauvais moment. « Il est possible de leur dire de revenir plus tard. On peut dire à ses voix : »En ce moment, je ne suis pas disponible pour te parler, je te donne rendez-vous à 13 heures demain » pour leur faire savoir que ce n’est pas le bon moment. »
Au-delà des enjeux
Chez les personnes vivant avec la schizophrénie, on peut remarquer un manque de motivation d’aller vers l’autre, une faible estime de soi, une insouciance face aux autres ou aux conséquences de ses actions, un désintéressement et un isolement, un manque d’accès à l’intimité et un découragement de l’autonomie.
C’est pourquoi Marie-Christine suggère de prendre le temps de réfléchir à ses objectifs personnels, car cela aide à développer la motivation nécessaire pour foncer vers ce qui allume l’esprit. Que ce soit d’avoir une relation amoureuse stable ou même de fonder une famille, la sexologue dit : « Allez découvrir la flamme qui vous habite et trouvez votre étincelle. »
L’accès à l’intimité
« Si une personne vivant avec la schizophrénie habite en milieu d’hébergement, il peut être délicat pour elle d’obtenir la permission de recevoir son ou sa partenaire à passer la nuit. »
Un plan flexible pourrait convenir entre une personne vivant en ressource et le personnel du même centre. Faire une charte, un code d’éthique, est fortement recommandé. « Si on fait un plan de vie pour que la personne puisse recevoir son ou sa partenaire et qu’on s’entend sur un compromis, on encourage l’autonomie tout en gardant une stabilité et cela permet d’établir un lien de confiance. » Dit-elle, en proposant d’organiser des activités auxquelles le ou la partenaire peut participer.
« Il est possible de s’entendre pour que le couple puisse louer une chambre d’hôtel et de monter le budget cela ! En plus, c’est une façon d’encourager la gestion d’argent. »
Les liens de confiance
Qu’une personne soit célibataire ou en couple, tisser des liens de confiance reste un aspect important afin d’avoir un filet de sécurité et de développer une complicité avec son entourage. Pouvoir aborder le sujet de la sexualité avec les personnes en qui on a confiance, permet d’avoir des discussions saines entourant le sujet.
« Il est premièrement recommandé de se rallier avec une personne qui vous ressemble sur le plan des valeurs, de son ouverture à la discussion et de son aisance à discuter sexualité. En deuxième lieu, prendre le temps de développer un lien en allant souvent discuter avec les personnes en qui vous avez confiance afin d’aborder plusieurs sujets et finalement, savoir qu’un intervenant doit intervenir sans jugement et avec ouverture, empathie et respect. » Parce que parler brise l’isolement.
L’intervenante du CIUSSS de l’Est de l’île de Montréal souligne d’ailleurs l’importance d’avoir accès à l’éducation sexuelle spécialisée, dans le but d’encourager la santé sexuelle des personnes ayant un diagnostic pouvant les marginaliser.