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Le TDAH

17 mai 2024

Audrey Brassard & Caroline Dugal

Audrey Brassard, PhD, est psychologue et professeure titulaire au Département de psychologie de l’Université de Sherbrooke. Elle se spécialise dans la psychologie du couple, en particulier l’attachement, le bien-être relationnel et sexuel, ainsi que la violence entre partenaires intimes.

Caroline Dugal, PhD, est psychologue et professeure adjointe au Département de psychologie de l’Université du Québec à Trois-Rivières. Elle se spécialise dans la psychologie du couple, plus particulièrement, l’étude des déterminants des conflits, de la violence et des difficultés sexuelles au sein du couple.

1. Qu’est-ce que le TDAH?

Le TDAH est un trouble neurodéveloppemental qui toucherait environ 5% des enfants et 4% des adultes selon le DSM-5. Ce trouble est caractérisé par des difficultés persistantes à maintenir l’attention (difficultés de concentration, distraction par éléments de l’environnement ou pensées, difficultés organisation, ne pas porter attention aux détails, oublis fréquents, incapacité à initier et à terminer des tâches, procrastination), à contrôler les impulsions (actions précipitées, prises de décision impulsives, couper la parole, impatience), et à réguler l’activité motrice (c.-à-d., hyperactivité; parler beaucoup, difficulté à rester assis ou calme, se tortiller ou bouger les mains).

La présentation clinique des adultes ayant un TDAH peut varier considérablement d’une personne à l’autre, certains présentant plus de symptômes liés à l’inattention, à l’hyperactivité/impulsivité ou des symptômes combinés.

2. Quels sont les impacts du TDAH sur la sexualité d’une personne?

A) pour la personne ayant un TDAH

Les écrits révèlent la présence de deux patrons très différents selon la présentation du TDA(H) : soit la personne n’initie pas (ou très peu) les relations sexuelles, ce que l’on nomme l’hyposexualité ou, au contraire, la personne initie tout le temps (ou très fréquemment) les relations sexuelles, ce que l’on nomme l’hypersexualité.

La personne ayant un TDAH qui présente plus de difficulté à initier des tâches en général (par ses difficultés de planifications et d’organisation) peut en effet avoir de la difficulté à initier (ou planifier) la sexualité. Le désir et l’atteinte de l’orgasme peuvent également être limités par la prise de médication pour le TDAH ou d’antidépresseurs. Le fait d’accorder toute son attention (hyperfocus) sur d’autres projets ou tâches peut de plus les amener à complètement mettre de côté la sexualité ou à devoir absolument compléter une tâche avant de pouvoir s’engager dans une relation sexuelle. Il est également possible que les personnes ayant un TDAH rapportent de l’aversion envers la sexualité, caractérisée par le dégoût (p. ex., au niveau des odeurs) et l’absence de désir.

En présence de symptômes d’hyperactivité/impulsivité plus sévères, les adultes ayant un TDA(H) rapporteraient des comportements d’hypersexualité plus fréquents (c.-à-d., des préoccupations intenses envers la sexualité et une difficulté à contrôler leurs impulsions sexuelles). L’impulsivité peut aussi amener une difficulté à relaxer pour profiter des relations sexuelles, de l’impatience, ainsi qu’une tendance à mettre de côté les préliminaires ou à y accorder peu de temps. Elle est aussi associée à plus de comportements sexuellement à risque (p. ex., ne pas mettre de condom), à plus de maladie transmises sexuellement ou par le sang, plus de difficulté à contrôler sa consommation de pornographie, voire à de la sexualité compulsive impliquant ou non de l’infidélité. En effet, certaines personnes utiliseraient ces comportements sexuels comme stratégies les aidant à réguler leurs émotions ou leur stress. Par ailleurs, l’impulsivité rendrait également plus difficile de percevoir les signaux d’intérêt ou de désintérêt de l’autre partenaire.

Les adultes ayant un TDA(H) rapporteraient ainsi en moyenne plus de troubles associés à la fonction sexuelle, c’est-à-dire, des difficultés en lien avec l’atteinte de l’orgasme, des difficultés à atteindre et maintenir une érection, ainsi que la présence de douleur lors des relations sexuelles. Notamment, les difficultés d’attention peuvent contribuer à de la distractibilité pendant la relation sexuelle (c.-à-d., penser à plein d’autres choses), ce qui augmente le risque de difficultés d’érection et d’éjaculation ou de difficultés orgasmiques, considérant la difficulté à demeurer centré sur le moment présent et les sensations agréables. À cet effet, les personnes ayant un TDAH rapportent parfois une hypersensibilité physique au toucher, contribuant à une difficulté à rester concentré sur les sensations agréables (ou elles ne sont plus agréables, même parfois douloureuses).

B) pour le couple ou l’autre partenaire

Au sein de la relation de couple, l’autre partenaire peut se plaindre d’une impression de manque de connexion émotionnelle, interpréter certains comportements comme de la passivité, de l’inexpérience ou du désintérêt, ou encore sentir de la pression sexuelle et avoir l’impression que l’autre ne décode pas bien ses signaux d’intérêt ou de désintérêt sexuel. Lorsqu’elles ne sont pas comprises comme découlant d’un trouble neuro-développemental, ces manifestations peuvent être interprétées par l’autre partenaire comme un manque d’intérêt ou de considération. Cela peut entraîner des malentendus, de la tristesse, du désarroi, un sentiment d’être délaissé ou de ne pas pouvoir être soi-même, ce qui peut contribuer à des difficultés de couple.

Par ailleurs, la présence d’une dynamique de couple de type « parent-enfant » (où l’autre partenaire tend à jouer le rôle de parent de la personne ayant un TDAH) peut affecter le niveau de désir, et ce, autant pour la personne (avec TDAH) qui se sent infantilisée et contrôlée que pour l’autre partenaire qui se sent parentifié. Ce patron est aussi lié à des émotions négatives qui peuvent altérer la sexualité.

Toutefois, plusieurs points positifs sont également à noter chez les personnes ayant un TDAH. Celles-ci démontreraient plus de créativité dans leur sexualité, ce qui peut contribuer à une sexualité riche et variée. Leur curiosité et intérêt à essayer de nouvelles activités peuvent donc pimenter la vie sexuelle du couple ou les amener à aborder la notion de non-monogamie consensuelle. Leur attention peut aussi être très centrée sur l’autre partenaire (surtout en début de relation), ce qui serait généralement apprécié.

3. Comment naviguer les impacts de façon à s’épanouir et vivre sa sexualité sainement?

En premier lieu, il est fort utile de prendre conscience des impacts du TDAH sur la sexualité et le couple, et d’en discuter avec son/sa partenaire. Cela passe par la prise d’information et l’identification des aspects de sa sexualité qui sont associées à ses différents symptômes du TDAH. = Se renseigner et S’observer.

Puis, la personne gagne à prendre en main les symptômes du TDAH qui peuvent affecter sa relation dans une approche de responsabilisation, c’est-à-dire de se montrer proactive dans la façon de gérer ses symptômes. Cela peut impliquer (a) de considérer la prise de médication (donc de consulter un médecin et de discuter de la possibilité de prendre de la médication pour atténuer les symptômes du TDAH) et (b) de prendre soin de son hygiène de vie pour atténuer l’effet des symptômes (p. ex., saine alimentation, sommeil régulier, exercice physique régulier). = Exercer son contrôle (ou prendre en charge ses symptômes)

Dans sa relation, plusieurs actions peuvent être entreprises pour travailler à améliorer la communication ou la gestion de la dynamique parent/enfant avec l’autre partenaire afin de pouvoir atténuer les impacts sur la sexualité. Cela peut impliquer notamment de discuter ouvertement des besoins de chacun, et tenter de trouver des solutions « gagnant-gagnant » qui conviennent au couple. Il est aussi bénéfique de prévoir du temps de qualité entre partenaires, comme des moments intimes sans sexualité, le partage d’affection non sexuelle, des moments de connexion à tous les jours, ainsi que des activités plaisantes ensemble. = Communiquer et Développer l’intimité

Au niveau de la sexualité, les partenaires peuvent planifier des moments pour l’intimité sexuelle et tenter de réduire les distractions pendant les activités sexuelles (comme limiter les sons, ajuster le niveau de lumière, considérer des exercices de présence attentive ou autres exercices pour être capable de rester dans le moment présent, se donner un code pour dire à l’autre quand on perçoit qu’il/elle n’est plus dans le moment présent, parler de l’intensité du niveau de stimulation qui est optimal pour chacun). Il est aidant de discuter des désirs sexuels de chacun et de proposer des stratégies pour changer la routine et les activités sexuelles. Ouvrir sur ce qui constitue des comportements d’infidélité peut aussi être une conversation importante à avoir pour s’assurer de respecter les limites de chacun et d’avoir une entente claire (de monogamie ou de non-monogamie), en plus de se donner des règles claires pour respecter et protéger la santé sexuelle de chacun (p. ex., contraception).  = Ajuster la sexualité du couple

Dans tous les cas, il ne faut pas hésiter à aller chercher de l’aide en thérapie individuelle ou conjugale si les partenaires ont besoin d’aide pour effectuer ces étapes.

4. Quels sont les outils existants qui ajoutent à la santé et sécurité sexuelle des personnes avec un TDAH?

Nous en connaissons très peu (domaine très peu étudié), mais nous avons recensé quelques livres en anglais :

Adult ADHD and Sex: What You Need To Know (That Sex Therapists Cannot Tell You), 

Par Gina Pera

The Couple’s Guide to Thriving with ADHD, par Melissa Orlov et Nancie Kohlenberger

ADHD After Dark: Better Sex Life, Better Relationship, par Ari Tuckman

5. Pourquoi une personne qui a un TDAH devrait-elle utiliser les services d’un.e sexologue?

Les sexologues peuvent offrir de la thérapie individuelle ou de couple. Il peut être souhaitable de recourir à la sexothérapie ou à la psychothérapie si la personne vit trop de détresse, si les comportements interfèrent avec son fonctionnement quotidien, ou si elle a l’impression de ne plus contrôler ses comportements. Une telle démarche peut viser à mieux se comprendre, à se responsabiliser face aux symptômes en développant des compétences et en utilisant des outils, ainsi qu’à travailler sa relation et sa vie sexuelle.
Parfois, il est souhaitable de bénéficier d’une évaluation et prise en charge de difficultés associées au TDA(H) (p. ex., consommation, soucis financiers) ou de difficultés rapportées par l’autre partenaire (p. ex., dépression).